La crise en Ukraine : « la Russie a-t-elle été flouée? »
Poutine voudrait que la Russie ait son mot à dire dans l'organisation de la sécurité en Europe
Bassam Tayara
Vladimir Poutine ne cesse de répéter que l’Alliance transatlantique (OTAN) a trahi la Russie et n’a pas respecté sa promesse des années 1990 : ne pas intégrer des pays d’Europe centrale et orientale.
Dès le depuis de cette crise actuelle, la plus grave depuis la crise de Berlin en 1962, Poutine réclame des garanties pour que l’Ukraine n’intègre jamais l’Otan[1], et ne cesse de répéter « Nous avons été escroqués, trompés » et d’affirmer « On nous avait promis que l’infrastructure de l’Otan ne s’avancerait pas d’un pouce vers l’Est. Ils ont dit une chose et fait le contraire. » C’est la base de l’argumentaire russe.
Est-ce vrai ? Est-ce faux ? La réponse est entre les deux positions: c’est discutable . Les faits historiques sont vrais mais une prise en compte des évolutions et du contexte géopolitique de l’époque fragilise les affirmations des deux bords.
Cette promesse fut faite par l’OTAN à l’URSS, puis à la Russie, dans les années 1990 pour « rassurer Mikhaïl Gorbatchev » : l’alliance transatlantique n’intégrerait pas les anciennes républiques soviétiques.
Cet argument repose sur des déclarations connues[2] où on trouve que les interrogations sur le future de l’Allemagne réunifiée se posaient surtout sur son intégration à l’OTAN . Pour que l’URSS de Gorbatchev accepte la réunification et son intégration dans l’Alliance atlantique, le secrétaire d’État américain de l’époque, James Baker, assure à Gorbatchev que « la juridiction militaire actuelle de l’Otan ne s’étendra pas d’un pouce vers l’Est« . C’est écrit noir sur blanc.
Mais l’URSS ainsi que ses alliances avec les pays satellites vont s’effondrer ‘à partir de 1991, ce qui va changer le rapport de force et la donne géopolitique. De plus que le traité qui est sorti de ces discussions, en 1990, n’interdit pas explicitement l’élargissement.
Mais Poutine met en évidence une autre trahison de la coalition occidentale à l’égard de la Russie. En 1993, le président américain Bill Clinton propose à son homologue russe Boris Eltsine une nouvelle structure internationale, qui désignée par « Partenariat pour la paix », cela pour pour garantir la sécurité européenne sans passer par l’Otan. Mais là où le doute subsiste c’est que dans cette proposition l’élargissement ne serait qu’ « une possibilité sur le long terme ».
Or dès 1997, la Hongrie, la Pologne et la République tchèque sont invitées à adhérer à l’alliance, ce qu’elles feront en 1999. L’OTAN n’avait pas pris d’engagement formel et à cette époque les responsables russes l’avaient interprété différemment. … c’était avant l’arrivée de Poutine au Kremlin qui a senti que les dirigeants de la Russie ont été floués.
Un chercheur français[3] dit : « Si Gorbatchev et Eltsine ont contribué si activement au démantèlement de l’empire soviétique, c’est parce qu’ils pensaient qu’en échange, la Russie serait intégrée dans la sécurité européenne et le concert des nations occidentales[4]. » Poutine a toujours considéré que les États-Unis ont profité de la faiblesse russe pour étendre l’OTAN
C’est pour cela que dès 1997, le ministre russe des Affaires étrangères avait déclaré à l’administration Clinton : « Si l’infrastructure de l’Otan s’avance vers la Russie, ce sera inacceptable. » En 2007, Poutine remet la question de la trahison à table[5] , en 2014, pour justifier l’invasion de la Crimée il crie tout haut parlant de l’intégration de plusieurs ex-satellites de l’URSS à l’OTAN : » ils nous ont mis devant le fait accompli. »
Mais là Poutine enfreint une des promesses écrites contraignantes faite par la Russie en 1994, c’est mémorandum de Budapest, qui garantissait l’intégrité territoriale de l’Ukraine.
Il faut admettre que ce sont les pays d’Europe centrale et orientale eux-mêmes qui ont demandé à intégrer l’OTAN, et les pays occidentaux, qui profitent de ce fait géopolitique et ne pouvait pas le leur refuser sous prétexte du droit de chaque nation à choisir sa politique de défense. C’est un argument encore utilisé aujourd’hui : « C’est à l’Ukraine de décider de son chemin, du moment et du souhait de devenir membre ou non », a affirmé le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, le 10 décembre.
Mais Poutine voudrait que la Russie ait son mot à dire dans l’organisation de la sécurité en Europe, donc remettra à plat les dispositions bâties après la Guerre froide à une époque où cette Russie était trop faible pour peser sur les décisions. Il a fait un certain nombre de gestes pour tenter de dialoguer avec les Occidentaux, notamment la France et l’Allemagne.
Actuellement la Géorgie et la Moldavie tapent à la porte de l’OTAN comme l’Ukraine. Ce processus d’élargissement qui est loin de faire l’unanimité au sein même de l’OTAN : Berlin et Paris ont toujours été opposés à l’adhésion de l’Ukraine, et paraît-il même les Etats-Unis n’en veulent pas … actuellement. Mais l’Occident ne peut l’avouer il serait vu comme un acte de faiblesse vis-à-vis du Kremlin. Ce que, dans le rapport de force actuel, aucun camp ne peut se permettre.
[1] OTAN : C’est une alliance militaire et politique héritée de la Guerre froide qui associe aujourd’hui les Etats-Unis, le Canada, et 28 pays européens.
[2] https://nsarchive.gwu.edu/briefing-book/russia-programs/2017-12-12/nato-expansion-what-gorbachev-heard-western-leaders-early
[3] David Teurtrie, chercheur associé au Centre de recherches Europes-Eurasie et spécialiste de la géopolitique de la Russie.
[4] https://nsarchive.gwu.edu/briefing-book/russia-programs/2021-11-24/nato-expansion-budapest-blow-1994
[5] https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/vladimir-poutine/russie-ce-discours-de-vladimir-poutine-en-2007-qui-resonne-avec-la-crise-actuelle-en-ukraine_4968344.html