Comment vont voter les Français d’origine libanaise?
La guerre contre Gaza a amené, dans les salons des Libanais et dans leurs conversations dans les cafés des tensions et des objections
Bassam Tayara
Elections: Que feront les Libanais de France ?
Pour répondre à cette question, il faut s’intéresser à la composition sociologique des Libanais au pays, et cela en tenant compte des conditions de leur arrivée : immigration économique ou asile. Ne pas oublier une des caractéristiques de la « libananitde »: leur appartenance sectaire et religieuse.
Ce facteur religieux est censé n’avoir aucun sens dans la France laïque. Cependant, le parti pris des droites européennes en faveur d’un chauvinisme national, elles ont redonné, peu à peu, de l’importance à la dimension religieuse. Par ailleurs l’accent mis sur la question des immigrés, intentionnellement ou non, se projette sur l’islam et les musulmans et reflète une montée de la religiosité en cette France et un déclin de la laïcité.
Comme c’est le cas des Libanais dans leur pays, leur position au sein de la communauté est divisée, mais avec « politesse et calme ».
La guerre contre Gaza a amené, dans les salons des Libanais et dans leurs conversations dans les cafés des tensions et des objections suite à l’implication du Hezbollah au Liban dans cette bataille pour aider les Gazaouis. Les tensions qui entouraient toutes les manifestations de soutien à la Palestine dans la rue et dans les universités a contribué à réduire pousser ces Libanais de tout bord à s’abstenir de débat public… sans empêcher leurs commentaires sur les réseaux sociaux.
Ces réseaux ont mis sous la loupe l’orientation des Libanais en général pour ces élections sous le prisme de ce qui se passe dans le Pays des Cèdres.
Sur la base d’un aperçu général de ces commentaires et messages, on peut dire que la guerre à Gaza s’est placée au coeur des tendances des votes pour ces élections, comme d’ailleurs c’est le cas pour une forces politiques concurrentes.
« La France Insoumise » LFI a axé sa campagne aux élections européennes sur la question palestinienne et la nécessité d’arrêter la guerre, et cela dans une manœuvre ouverte pour attirer les voix des banlieues. Lorsque les dirigeants de ce parti ont qualifié l’attaque du Hamas du 7 octobre d’« acte terroriste, mais dans un contexte de résistance à un occupant », les accusations d’« antisémitisme » ont plu sur ce parti. Et fut émi un anathème de tous les partis de gauche comme de droite contre LFI . Mais après la dissolution de l’assemblée et la convocation de nouvelles élections, les choses ont changé et les forces de gauche se sont alliées et ont avalé leurs critiques de LFI, contrairement à ce que pensaient Macron et beaucoup d’observateurs.
Les partisans libanais de la « LFI» sont des partisans du Hezbollah en particulier et/ou du fait de ses positions sur la question de Palestine en général, sans pour autant être des partisans du Hezbollah. Au fil des années, le Parti Républicain LR a été le « refuge électoral » des Libanais en général, notamment de la classe aisée résidant dans les banlieues ouest. Il peut y avoir des considérations historiques à ce rapprochement entre le parti historique gaulliste et les Libanais. A noter que le « Groupe d’amitié libano-française » au Parlement ne comprend aucun représentant du parti Mélenchon, et que trois représentants d’origine libanaise appartiennent à des partis de droite.
Marine Le Pen, leader du Rassemblement national (RN), a profité de l’attentat du 7 octobre pour se débarrasser des accusations d’antisémitisme qui accompagnaient toutes les étapes du parti de son père Jean-Marie Le Pen. De hauts responsables de la lutte contre l’antisémitisme ont décerné à Marine Le Pen un certificat de bonne conduite en raison de ses positions. On peut dire que les opérations terroristes sporadiques qui ont frappé les Juifs français ont soutenu la tendance à combattre la « France fière », et l’extrême droite a surfé sur cette vague.
La question de l’antisémitisme ne se retrouve pas dans la bouche des Libanais opposés à Mélenchon. Cependant, on retrouve un nombre important de partisans libanais, du Parti républicain qui se sont déplacés pour soutenir Marine Le Pen en utilisant certaines de ces expressions. Si l’est nécéssaire de prouver leur intégration dans le tissu électoral français, c’est la preuve puisque les statistiques donnent au parti d’extrême droite 40 % comme indicateur hypothétique pour la prochaine législature.
Le Parti Socialiste est le plus grand perdant de la communauté libanaise. Dans le passé, le rapprochement quasi organique entre le Parti socialiste et Israël a été un facteur de division avec la gauche libanaise.
Quant à la frange libanaise de droite, elle a vagué entre le parti gaulliste LR et le parti Macron Renaissance, avant d’être récemment happée par Marine Le Pen.
Ce qui est nouveau, c’est qu’on entend de la part de certains Libanais un soutien aux propositions de l’extrême droite, notamment en ce qui concerne les immigrés et les réfugiés !
Selon plusieurs études sur l’intégration dans la société française, cette expression reflète une équation scientifique: « L’immigré, après des années de travail et d’intégration dans le tissu national, se méfie du poids de l’arrivée des nouveaux immigrés ».. et cela s’est produit au fil des années avec les Italiens, puis les Portugais, puis les Polonais.
Pour ceux venus d’Afrique du Nord, du Maroc, d’Algérie et de Tunisie, le facteur religieux atténue grandement cette « inquiétude » due aux coutumes de solidarité des sociétés orientales. Cette solidarité s’applique sur un petite partie de la communauté libanaise non chrétienne.
C’est ce qui alimente les propositions de l’extrême droite et la crainte d’une « invasion de la société française » par l’islam. Ce qui est étrange, c’est que les réactions de certains Libanais ressemblent beaucoup aux propositions de Marine Le Pen : il faut stopper les flux migratoires.
En fait, les Libanais qui ont répondu ainsi ne sont pas parmi les habitants des quartiers riches ou des personnes exerçant de hautes professions, mais plutôt des habitants des banlieues, où ils sont entourés d’anciens immigrés devenus français comme eux ! Les sociologues expliquent cela par la peur de la concurrence au bas de l’échelle sociale.
La question de la Palestine est peut-être soutenue de loin dans les conversations publiques entre Libanais, mais ceux qui ont fui le Liban ou bien influencé par le slogan « Nous voulons vivre tranquillement» imprègne les conversations privées et peuvent être glissé dans les discours de certains Libanais, et transcende les frontières des confessions et inclut beaucoup d’électeurs de toutes les classes sociales.
Mais Mélenchon et son parti ne parient pas sur cette minorité naturalisé qui s’oppose au grand nombre d’immigrés, mais plutôt sur la majorité immigrée naturalisée également, qui descend dans la rue derrière la bannière du soutien à Gaza et à la Palestine et demande l’arrêt de la guerre.
Les partis de gauche se rendent compte que ce pari peut être rentable si ces masses se déplacent pour aller aux urnes. C’est ce qui explique qu’ils aient accepté d’avaler leur chapeau et d’adhérer à la formation du « Nouveau Front populaire » (NFP) et donner à LFI la part du lion d’investiture: sur 577 circonscriptions, 230 ont été attribuées au parti de Mélenchon, contre 200 au Parti socialiste, 90 aux Verts, et 50 au Parti communiste.
La grande question qui pourrait influencer la forme du nouveau parlement étant celle du nombre de partisans de LFI qui se rendraient aux urnes le 30 juin au premier tour, mais le passé prouve le manque de participation des banlieues aux élections.
Quant aux Libanais qui soutiennent les partis de gauche, nul doute qu’ils seront prêts à voter, mais leur nombre est faible comparé aux Français d’origine maghrébine . Ce sont eux qui peuvent faire pencher la balance, d’autant plus qu’ils sont les cibles des propositions de l’extrême droite, qui n’hésite pas à les qualifier de « Français de papiers».
La plus grande question est la position des partis centristes (Macron et Les Républicains) au second tour si la compétition se situe entre un candidat d’extrême droite et le candidat du Front de gauche ? Les partisans d’origine libanaise de Le Pen ou de la gauche, n’ont donc rien à redire sur l’orientation de leurs votes.
La question la plus importante, et qui se pose à presque tous les électeurs, est de savoir où iront les votes (des Libanais) si le représentant de gauche est un LFI ? Le Libanais va-t-il renoncer à voter à gauche en votant Le Pen ou bien un vote blanc?