Covid-19: Découverte d’un mécanisme expliquant certaines formes graves
Des études mettent en évidence un défaut de production ou d’action des interférons de la défense immunitaire
DELPHINE CHAYET
D’où vient la vulnérabilité des patients souffrant d’une forme sévère de Covid-19, alors que l’infection reste silencieuse ou bénigne chez une majorité de personnes ? Dans deux articles scientifiques publiés hier dans la revue américaine Science, le Laboratoire de génétique humaine des maladies infectieuses de l’Institut Imagine, situé à l’hôpital Necker, apporte un premier élément de réponse à cette question essentielle. Ses études mettent en évidence, chez près de 14 % des malades hospitalisés pour un Covid-19 grave, un défaut de production ou d’action des interférons, qui participent à la défense immunitaire de première ligne face aux virus. Cette découverte pourrait à terme mener à un dépistage de ces malades, et à une évolution des traitements qui leur sont proposés.
« Dès le mois de février, nous avons émis l’hypothèse que le basculement dans une forme sévère n’était pas le fruit de la malchance, mais le résultat d’un déterminisme génétique et immunologique », indique le Pr Jean-Laurent Casanova, pédiatre et généticien, à la tête de ce projet de recherche international. Pour le vérifier, son équipe s’est lancée à la recherche de mutations génétiques susceptibles d’expliquer la variabilité des réactions individuelles lors d’une infection par le virus Sars-CoV-2. « Nous avons constitué un consortium international, réunissant un millier d’hôpitaux dans 50 pays », précise le scientifique. Des échantillons sanguins ont été recueillis auprès de milliers de malades hospitalisés en réanimation pour des pneumonies ou des défaillances respiratoires, mais aussi de patients asymptomatiques dans un groupe « contrôle » permettant une comparaison des résultats.
Les scientifiques ont procédé à un séquençage du génome de chaque patient. Ils se sont tout particulièrement intéressés à 13 gènes, précédemment identifiés par le laboratoire comme prédisposant à des formes sévères de grippe. Cet examen a révélé chez 23 malades des mutations pouvant expliquer l’incapacité de leur organisme à produire des interférons de type I efficaces face au coronavirus. Ces molécules sont sécrétées dans les minutes qui suivent l’intrusion d’un virus dans une cellule. Leur rôle est de faire réagir la cellule infectée, de prévenir ses voisines, et donc de déclencher le processus de lutte contre le virus. Une réponse ultraprécoce qui permet de contenir la multiplication du virus.
L’inefficacité des interférons
« C’est important car la gravité de la maladie est liée à l’intensité de la réplication virale, souligne le Pr Guy Gorochov, immunologiste à la Pitié-Salpétrière et chercheur à l’Inserm, qui a participé à ces études. Si l’organisme ne parvient pas à bloquer le virus très tôt, ce dernier va croître, infecter d’autres cellules et se disséminer dans l’organisme. Cela augmente le risque de réaction inflammatoire démesurée, et donc de forme grave. »
Des anomalies sur ces 13 gènes perturbent la production d’interférons ou leur communication avec les cellules. C’est ce qui explique, chez 3,5 % des patients graves, une réponse immunitaire inefficace dès le début de l’infection. Ce pourcentage peut paraître très faible, mais les scientifiques estiment que le phénomène concerne une plus grande proportion de malades. Pas moins de « 300 gènes ont un lien avec les interférons », explique en effet le Dr Laurent Abel, généticien et codirecteur du Laboratoire.
Dans un deuxième article publié dans la revue Science, les scientifiques mettent au jour un autre mécanisme expliquant l’inefficacité des interférons. Plus inattendu, il concerne 10 % des patients souffrant de formes sévères de Covid-19. Eux n’ont aucune des mutations décrites plus haut, mais ils ont pour point commun de fabriquer des anticorps contre leurs propres interférons. « Autrement dit, l’organisme de ces malades empêche l’interféron d’approcher la cellule et d’envoyer son signal, ce qui entraîne là aussi une réplication incontrôlée du virus », précise le Pr Gorochov.
Résultat intéressant : les scientifiques constatent que ces anticorps anti-interférons sont plus fréquents chez les hommes que chez les femmes. Selon le Pr Casanova, « ceci explique en partie la sévérité plus marquée de l’infection chez les hommes ». Ils seraient aussi plus nombreux chez les patients âgés de plus de 65 ans.
Ces études constituent une étape importante dans la compréhension des infections graves, et la mise au point de stratégies thérapeutiques. « Elles ouvrent la voie à des essais cliniques sur l’administration très précoce d’interférons de synthèse pour induire une réponse immunitaire, ou sur la plasmaphérèse afin d’enlever les anticorps anti-interférons dans le sang de ces malades », analyse le Pr Gorochov.