L’évolution des relations entre Washington et Riyad

Ce que traversent les relations entre ces deux pays est plus important qu'une crise passagère

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Bassam Tayara

La « nouvelle » Arabie saoudite, celle du prince héritier Mohamad bin Salman (MBS) ne manque pas une occasion sans confirmer sa nouvelle orientation basée sur son indépendance vis-à-vis des Américains. Le marqueur le plus saillant c’est le rapprochement avec l’Iran qui paraît bien ancré dans cette tendance. Et à l’ombre de ce rapprochement, divers dossiers indique le cheminement de cette nouvelle politique basée sur « les propres intérêts » du Royaume Wahhabite.
Cela vient ébranler les impressions que les Américains essaient de répandre sur le fait que ce que traversent les relations de leur pays avec le Royaume n’est qu’une crise passagère, dont la solution est une question de temps, et qu’une nouvelles approche sur les conditions de cette alliance historique est en train de se dessiner.

Les deux chemins qui menaient à cette alliance, ont commencé à se distancer avec ce qu’on appelle le « divorce pétrolier » qui a eu lieu entre l’Arabie saoudite et les États-Unis.
La politique pétrolière adoptée par l’Arabie saoudite au cours des deux dernières années confirme que le Royaume a opéré un changement majeur dans sa politique, car elle est devenue basée sur la sécurisation des intérêts du régime, qui ne coïncideraient plus avec les intérêts américains.

Il suffit d’écouter le ministre saoudien du Pétrole, Abdulaziz bin Salman, qui a annoncé il y a quelques jours que « le vieux temps des années quatre-vingt pendant lequel le Royaume jouait le rôle de producteur pompe… ce temps est révolu!» Cela représente une annonce saoudienne explicite d’un divorce pétrolier irrévocable avec Washington.

Mais cette réalité recoupe également une remarquable insistance saoudienne à coordonner sa politique de production avec la Russie au sein de « l’OPEP Plus », surtout en ce qui concerne la réduction de la production.
À cet égard, il y a deux tournants principaux, dont le premier a eu lieu en octobre 2022, lorsque l’Arabie saoudite a surpris tous les membres de l’organisation, y compris la Russie, et a fait pression sur tout le monde pour réduire la production de deux millions de barils d’un coup, dépassant deux fois ce que Moscou était prête à réaliser pour soutenir les prix. Et cela sans même écouter les cris des Américains… ce qui avait décidé le Président américain à avaler son chapeau, à oublier ses menaces de venger l’assassinat du journaliste Khashoggi dans l’enceinte de l’ambassade saoudienne en Turquie… et venir en personne demander au Prince d’augmenter la production pour juguler l’inflation et la hausse des prix mondiale.
Et le second tournant est plus proche de nous: c’est fin juin dernier, lorsque le royaume a annoncé une restreinte à la production volontaire et unilatérale d’un million de barils, et a également fait pression sur Moscou pour qu’elle coupe encore un demi-million de barils dans le cadre de de « l’OPEP Plus », et cela pour faire preuve de cohésion au sein de cette organisation.
Tout cela malgré les nombreux rapports faisant état d’un mécontentement des Russes à l’égard de cette réduction, ainsi que les allusions saoudiennes sous forme de fuite, selon lesquelles Moscou dépasse son quota de production convenu.
Il convient de mentionner ici que les Russes ont leurs propres calculs basés sur le fait que l’augmentation des prix à la suite de la réduction ne compense pas l’argent perdu par la perte de la vente de la quantité de la réduction requise de Moscou, d’autant plus qu’il y a d’autres producteurs qui pourraient saisir des pays-clients pouvant échapper aux mains des Russes à cause de cette réduction. Mais en fin du compte, Riyad n’a cessé d’annoncer la poursuite de la politique de coordination avec Moscou pour contrôler le marché pétrolier mondial.

D’autre part, le pétrole, malgré sa grande importance, n’est pas le seul domaine dans lequel le prince héritier saoudien, Mohammed bin Salman (MBS), désobéit aux « ordres » américains. Ces derniers jours, les indications se sont multipliées selon lesquelles MBS prépare et met en place des règles de gouvernance qui vont au-delà des besoins de sécurité réclamées par les Américains, et cela à travers une série de mesures prises, dont la plus importante est l’accord saoudo-iranien, fait sous les auspices de Pékin.
Cet accord a eu des conséquences très importantes: l’émergence d’une dichotomie saoudo-iranienne dans ce Moyen-Orient, et qui constitue une référence alternative à la référence américaine en ce qui concerne les affaires de cette région.
Concernant le Yémen, que beaucoup considèrent comme un « baromètre » du succès ou de l’échec du rapprochement entre les deux grands pays du Golfe. Les informations et les apparences indiquent que les pas avancent vers un règlement, malgré les tentatives américaines d’obstruction aidés par d’autres alliés régionaux (Émirats Arabes Unis, Israël…). Ce qui retarde la solution au Yémen, et son annonce c’est la carte complexe de la répartition des différentes factions sur le terrain et la diversité de leurs mandataires extérieures. Cependant un fil conducteur existe: la poursuite positive de la négociation entre « Houthis » (les rebelles soutenus par l’Iran) et les responsables saoudiens.
D’autres point illustrent ce rapprochement, à titre d’exemple le retour à la table de discussion, de la question du champ gazier de Dorra entre l’Iran d’une part et le Koweït et l’Arabie saoudite d’autre part.
Le retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe sous la pression de MBS et cela malgré l’opposition de Washington. Sur la question complexe libanaise la position saoudienne n’est plus aussi fermée, le choix de l’émissaire français Jean-Yves Le Drian très proche des cercles de gouvernance saoudienne, est un signe positif d’un infléchissement pour une solution « à la française » loin de l’obstruction américaine sur cette question.

Ces changements et d’autres moins connus hors du cadre des relations saoudi-américaines reflètent , l’humeur populaire saoudienne qui est clairement encline à la politique du régime d’avancer dans la solution des conflits régionaux. Alors que les Américains ne sont pas très populaires à l’intérieur du Royaume wahhabite, MBS montre qu’il croit que ces « humeurs » de sa population, rejoignent les désirs des peuples de la région, ce qui donne à son pays un leadership au sein du Monde arabe.

Reste qu’une des indications les plus fortes de cet éloignement de la politique américaine au Moyen-Orient: le refus saoudien de s’embarquer dans un rapprochement avec Israël.
Toutes les tentatives américaines et les incitations à une normalisation avec l’État hébreu restent infructueuses. Après avoir semblé il y a quelques années que la normalisation entre le Royaume et Israël n’était qu’une question de temps, et que des mesures saoudiennes ont été prises dans ce contexte, notamment en autorisant des avions commerciaux israéliens à survoler l’espace aérien saoudien, Riyad est revenu aux constantes de sa politique en liant toute normalisation éventuelle à la recherche d’une solution à la question palestinienne, sur la base de deux États. En cela aussi, le régime saoudien répond à une humeur populaire, ainsi qu’aux exigences d’établir une paix stable dans la région.

Tout cela montre que nouvelle politique étrangère du Royaume est guidée par un unique objectif: l’intérêt du régime  sous MBS. Et même si l’est possible de reprendre le chemin d’une alliance avec Washington à l’avenir, ce retour sera dans des conditions autres dans lesquelles pour l’Amérique il serait difficile de dicter une politique qui irait contre les intérêts de Riyad comme définis par le Prince héritier.

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