Liban: Aoun va-t-il s’opposer à Macron?

Les chances de Mustafa Adib, Premier ministre désigné, deviennent de plus en plus minces

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Mustafa Adib Premier ministre désigné

Hussein Ayoub

Soit le gouvernement préconisé par le président français Emmanuel Macron naîtra dans quelques heures ou quelques jours, soit l’opportunité française est perdue et le Liban entrerait dans l’inconnu.

Si le président Macron, se décide, pour surmonter les obstacles à la formation du gouvernement de se rendre deux fois à Beyrouth et de communiquer personnellement avec les dirigeants libanais plus d’une fois en un mois, dont le dernier avec le président du Parlement Nabih Berri, (samedi 12), ce n’est pas une démarche ordinaire. Cette action comporte des aspects multidimensionnels, et de ce fait elle rappelle le rôle de feu le président syrien Hafez al-Assad et sa façon d’arrondir les anglais de la politique libanaise. C’était pour des raisons stratégiques syriennes, là on est devant des raisons stratégiques « spéciales Macron » .

Recep Tayyip Erdogan le président turc, voudrait entrer dans l’histoire par plusieurs portes, notamment la porte de la Méditerranée, au prix d’une guerre, dont les Américains n’en veulent pas par crainte de l’éclatement de l’Otan, d’où la visite de Mike Pompeo à Chypre. La France solitaire est incapable d’infliger une défaite aux Turcs, donc, Macron, afin de protéger sa sécurité nationale et celle du continent européen, doit renforcer son influence en Méditerranée orientale.

Le Liban est en tête de liste – très limitée- des options françaises. Et le Liban est cœur de ce que les Turcs accumulent afin de renforcer progressivement leur influence méditerranéenne.
Tout le monde a cédé à la demande de Macron : soit un mini gouvernement de quatorze nouveaux visages hors du cercles des politiciens rejetés par l’opinion libanaise.

Mais.. Rien n’arrive… alors : quels sont les obstacles à sa naissance dans le délai français de deux semaines

Le Mouvement Amal et le Hezbollah les deux partis chiites, ont informé Macron de leur refus de la permutation des ministères entre les différentes religions : le ministère des Finances, revenant aux chiites ce qui « garantie une participation de leur communauté aux grandes décisions ».

Les sanctions américaines qui ont visé le plus proche de Berri et … ministre des finances dans les gouvernements antécédents ne sont pas de nature à faciliter cette tâche. D’où leur refus de participer à un gouvernement suite à ces sanctions donc sous la menace.

Leur groupe parlementaire est composé de 27 députés et c’est un message pour signifier qu’il est impossible de constituer un gouvernement avec des ministres chiites sans leur aval.

Ces deux points (finances et nomination des ministres chiites) font l’objet de négociations sur le feu, comme l’indique la déclaration du président du Parlement, qui n’acceptera rien de moins que la reconnaissance du fait que les finances restent sous la garde de la communauté chiite, en échange de laisser une marge au président chargé de nommer les trois ministres, avec un droit de «veto».

Pour le « duo chiite » suivant la déclaration de Berri aucune promesse n’est donnée concernant le vote de confiance au future hypothétique gouvernement, toute en annonçant la volonté de coopérer «dans toute la mesure du possible à tout ce qui est nécessaire pour la stabilité du pays et le redressement de ces finances. Il fort probable que ces déclarations sont destinées à un délégué français qui devrait se rendra à Beyrouth incessamment.

Quel sera le comportement du «duo chiite» à la Chambre des représentants, en termes de projets de réforme et des projets du gouvernement, vont-ils sanctionner le gouvernement et bloquer les réformes ?

Cela donne un sens à ce que le secrétaire d’État adjoint américain David Hale a dit lors d’une séance à huis clos à l’ambassade américaine à Beyrouth « la présence du Hezbollah dans le gouvernement est un problème, mais son absence est un plus gros problème», alors comment fait-on si le duo chiite était opposé au gouvernement.Si Mustafa Adib va à l’encontre des règles qui ont régi la formation des gouvernements au Liban (la non consultation du Président et la non prise en compte du duo chiite, il ne le fait pas du fait de sa force politique mais il s’appuie sur la force de Paris et l’influence de la France.

C’est rappel des accords de Taëf qui a fixé de nouvelle règle pour le pouvoir du Premier ministre[1]

Officiellement, Mustafa Adib se rendra au palais présidentiel ce jour (lundi 14) , et il présentera au président Michel Aoun une formation ministérielle qui comprend, en plus de son nom, treize nouveaux noms technocrates.
Cette rencontre n’a été précédée d’aucune concertation préalable entre les deux, malgré les conseils qu’Aoun a donnés à Adib : «Ne vous engagez envers aucun ministre, ni avec aucun parti politique. Mettez des noms sans attribution de ministère…vous et moi nous nous mettrons d’accord sur la forme du gouvernement »..

Bien sûr, on sait qu’Aoun préfère un gouvernement d’au moins 20 ministres pour « l’efficacité de leur missions » comme il l’a dit son beau-fils Gibran Bassil[2].
Le deuxième point que le président de la République a transmis entre les lignes au Premier ministre désigné: « je suis impliqué dans la formation, aucun décret de constitution ne peut être promulgué sans ma signature ».

Lors de ses rencontres avec Aoun ou avec d’autres hommes politiques, Mustafa Adib se contente de dessiner un léger sourire, et de répéter: si Dieu le veut, souhaitez-moi bonne chance, Dieu merci etc… sans dévoiler ses vraies intentions

Aoun paraît très en colère de ne pas être associé à la désignation du gouvernement et le choix des ministres. Il est devant deux choix ou bien refuser de signer ce qui bloquera la situation, ou bien demander un délai.

Si Michel Aoun accepte cette pratique qui fait que le Président ne soit plus associé à ces consultations, les futurs chefs de gouvernement suivront ce schéma ce qui diminuera du prestige et du poids du premier poste chrétien maronite du pays des Cèdres.

Est-il alors permis alors au président de la République de renoncer au « tiers garant »[3] dans les gouvernements par la suite ?
À l’issue de toutes les discussions anticipatives qui ont eu lieu au Palais Baabda, siège de Aoun, une décision a dû être prise. L’un des conseillers hausse le ton, et demande que la liste doit être rejetée, donc refuser de signer quelles qu’en soient les conséquences. Au prétexte que c’est un des derniers leviers du pouvoir restant au président maronite.

D’autres, dont Bassil, rétroque que le gouvernement doit être constitué et suivre son chemin parlementaire, en pensant que Berri ne le laissera pas passer la séance du vote de confiance.

[1] Hariri père à l’époque soutenu par la France et grand ami de Chirac.

[2] Président du « Courant National Libre » le parti du président.

[3] Coutume qui consiste à avoir un tiers des ministres de son bord ce qui lui donne le droit d’un veto si des décisions du conseil ne lui plaisent pas.

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